Naguère, selon la chanson, les amoureux qui se bécotaient sur les bancs publics, rêvaient aussi au prénom de leur premier bébé. Les bancs publics ont disparu et avec eux ces rêves naïfs qui ont eu tôt fait d’être remplacés par d’autres rêves.
On ne sait plus très bien à quoi rêvent les jeunes hommes, mais les jeunes femmes, elles, nous explique-t-on, rêvent de carrière. Pas question donc de faire des bébés avant d’avoir une place assise et reconnue dans la société.
A cet effet, la pilule du professeur Pincus a fait merveille, et lorsque ce n’était pas suffisant il y avait encore l’IVG de madame Veil pour corriger les embardées intempestives de la nature. Tout cela était bel et bon, grâce à quoi l’âge de faire des bébés n’a cessé de reculer, pour atteindre aujourd’hui la trentaine et même au-delà. Cependant il a fallu se rendre à l’évidence : une femme est moins féconde à trente-cinq ans qu’à vingt-cinq et que, passée la quarantaine, ses chances d’être enceinte sont très amoindries.
Voilà de quoi fracasser bien des rêves. Alors que faire ?
En appeler au professeur Frydmann, le père du premier « bébé-éprouvette » français, dont les travaux ont permis à des milliers de femmes stériles de mettre au monde des bébés par fécondation in vitro (FIV). Or le professeur Frydmann, ainsi que nous l’apprennent les gazettes, vient de « briser un tabou » : il a annoncé qu’il avait été à l’origine de la naissance de jumeaux chez une femme, à partir d’ovocytes congelés, contournant ainsi une législation bioéthique, que lui-même juge « confuse ».
Il va, c’est sûr, ouvrir d’autres perspectives de rêves !
Le professeur est donc invité sur un plateau-télé. Il est coincé entre madame Boutin qui est férocement contre toute intervention médicale quelle qu’elle soit, en matière de procréation; une jeune journaliste bon-chic bon-genre dont on a du mal à saisir la pensée exacte tant sa dialectique est alambiquée; et un homme, la quarantaine, qui se présente comme philosophe.
Le professeur Frydmann aura beau expliquer que ses travaux doivent surtout bénéficier à des femmes malades devant subir un traitement lourd qui risque de les rendre stériles, et à qui il va proposer de prélever des ovocytes et de les « vitrifier », afin qu’elles puissent tout de même avoir des enfants après leur guérison…
Et pourquoi, lui rétorque-t-on, ne pas accepter aussi que des femmes de vingt-cinq ans puissent faire vitrifier leurs ovocytes, « en attendant de rencontrer le prince charmant » ? (sic). Le « philosophe », lui, veut aller plus loin: pas de discrimination ! Cette avancée de la science doit être étendue à toutes les femmes qui le souhaitent, et, pourquoi pas, jusqu’à celles qui ont soixante ou soixante-dix ans, si elles le désirent. Pour lui le plus important pour un enfant est d’être désiré. Madame Boutin se risque à dire qu’elle n’est pas sûre d’avoir été une enfant désirée, mais qu’elle avait reçu beaucoup d’amour de la part de ses parents, alors qu’il pouvait arriver que…
Elle ne peut pas achever sa phrase, la cause est entendue : le désir, le désir, un point c’est tout.
Le professeur Frydmann est visiblement gêné. Il risque quelques mots sur la dangerosité de la grossesse à partir d’un certain âge. Il affirme que, quant à lui, il ne favorisera jamais une grossesse au-delà de quarante-neuf ans.
On ne l’écoute plus : c’est trop dur à entendre, surtout qu’à l’étranger tout est différent !
Une Indienne de soixante-dix ans a mis au monde des jumeaux. En Espagne existe un « grand supermarché procréatif » où des couples français peuvent s’adresser pour bénéficier d’un don d’ovocytes, en profitant d’une RTT. Il leur en coûtera de 4 000 à 9 000 euros, et tant pis si les donneuses sont toujours des jeunes femmes désargentées à qui un don d’ovocytes ne rapporte que 900 euros.
L’émission se termine et on n’a pas parlé des mères porteuses qui, beaucoup l’espèrent, débarrasseront un jour les femmes de cette anomalie de la nature qui veut que ce soit à elles de porter les enfants !
Une révision de la loi bioéthique va être entreprise bientôt : vitrification d’ovocytes, création de banques d’ovocytes, sélection des meilleurs spermatozoïdes, recherche sur l’embryon, gestation pour autrui, tous les sujets vont être étudiés. L’argument du « cela se fait ailleurs » va jouer à plein !
Beaucoup souhaiteront que le législateur ménage leurs rêves, alors que d’autres voudront voir s’éloigner ce qu’ils considèrent être un cauchemar.
Ah ! J’oubliais, mais peut-être n’est-ce qu’un détail sans importance, à aucun moment il ne fut question de l’intérêt de l’enfant.
Marianne A., Dans le sac de Marianne (17)
D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr
Marianne, fidèle de ce blog nous livre sa version des faits, sa vision du biniou et du monde. Chaque mardi, elle vide son sac !
( nb: la vidéo de cet entretien est en lien sur le mot « coincé » )