La chaise percée de Louis XIV
Posté par corto74 le 19 décembre 2010
« Quelle chaise ? Eh bien, oui, cette presse et cette foule sont entrées pour le moment où le roi va passer sur sa « chaise d’affaires ». C’est d’ailleurs pourquoi ses courtisans sont titulaires d’un « brevet d’affaires ». Il s’agit, bien entendu, de sa chaise percée.
Nous y voilà… On en a tant parlé, tant de générations de touristes, à Versailles, se sont étonnées, exclamées, esclaffées, qu’on a une légère hésitation avant de revenir sur ce sujet rebattu. Quoi ! Qu’est-ce ? Le Roi-Soleil fait ce qu’on appelle « ses besoins » en public ? N’y a-t-il donc pas, dans cet immense palais, le moindre recoin, une petite alcôve, un minuscule réduit, ce que justement nous avons fini par appeler « cabinet », où il puisse s’isoler, se cacher, se retirer un moment pour accomplir sans témoin l’acte, inévitable, mais grossier et sale, auquel est contrainte la nature humaine ? Pourtant si, il y en a, et précisément derrière sa chambre, et cela s’appelle justement « cabinet » ; mais cela sert à des choses beaucoup plus graves, notamment à traiter les affaires du royaume, si bien qu’aujourd’hui dans nos républiques nous appelons toujours « cabinet », une réunion de ministres, sans penser à mal. Mais pourquoi voudrait-on que le roi s’isole pour ce qu’il appelle « ses affaires » ? Pourquoi se cacherait-il, alors que tout le monde, en ce temps-là, sans fausse pudeur, s’installe sur la chaise percée en causant avec ses amis ?
La duchesse de Bourgogne fut l’une des plus aimables et des plus délicates figures de la cour, au temps du Roi-Soleil, qui l’adorait. La voici, sous la plume de Saint-Simon : « Un soir qu’allant se mettre au lit où Monsieur le duc de Bourgogne l’attendait, et qu’elle causait sur sa chaise percée avec Mmes de Nogaret et du Châtelet, qui me le contèrent le lendemain… »
Ce n’est donc pas le roi seul qui reçoit le public sur sa chaise percée, c’est tout le monde. On ne se cache pas, pas plus qu’on ne la cache. On y écrit, on y joue, les ministres y donnent audience, les généraux y donnent des ordres, les dames y causent. C’est tout simple.
Ainsi, une fois de plus, le Roi-Soleil fausse le jeu. Parce qu’il est roi et qu’on visite en foule son château de Versailles, il cristallise autour de sa personne une problématique qui ne se pose pas dans les termes que nous croyons. Une fois encore, le XVIIIe siècle s’intercale entre lui et nous ; car c’est bien lui, le siècle des Lumières, qui, de même qu’il a inventé la salle à manger dont on se passait avant Louis XV et le couloir qui permet d’entrer dans une chambre sans avoir besoin de traverser la précédente, c’est lui qui a inventé la nécessité de ce lieu privé que nous avons, Dieu sait pourquoi, mis au pluriel, « cabinets », avant de la traduire en anglais. (…)
Voilà quelles étaient les pudeurs du XVIIe siècle, qui étaient encore actuelles au temps de Bernardin de Saint-Pierre, pendant la Révolution. Elles ne faisaient pas sourire, elles faisaient pleurer d’émotion. Elles nous paraissent peut-être ridicules, elles ne l’étaient pas. Nos manières de faire l’auraient peut-être été et nos larmes aussi.
Prenons donc les choses avec la même simplicité que nos anciens et ne donnons pas à cette chaise plus d’importance qu’elle n’en avait, puisque ce serait justement pécher contre le naturel avec lequel ils en usaient : si ce n’est, une fois encore, pour nous étonner de la distance qui sépare ce que nous croyons avoir été de ce qui fut. »
» Le Roi Soleil se lève aussi « , Philippe Beaussant, Editions Gallimard.
Le texte du dimanche (45)
D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr
Très amusant ce texte, mon cher Corto.
Relançons-en la mode, et pourquoi pas ?
De même qu’on a inventé les « cuisines à l’américaine » qui sont ouvertes dans les salles de séjour, ajoutons-y « les cabinets comme au XVIIème siècle » !
Mais, oserais-je l’avouer, ce sera sans moi.
Encore une idée à creuser : au XVIIème siècle, à Versailles, des valets munis de seaux passaient dans la foule des courtisans et ceus qui en éprouvaient le besoin pouvaient pisser tout en continuant de converser avec les amis qui l’accompagnaient.
Au lieu d’avoir à chercher des pissotières inexistantes dans les rues et finir par pisser à la sauvette, envoyer en ville des brigades pour faciliter la chose aux passants.
Peut-être que cela pourrait être considéré comme un bassin (c’est le cas de le dire) d’emplois ?
@marianne: c est vrai qu il est anecdotiquement sympa ce texte. Que de commodités perdues au nom de la bien séance , non ?
J’imagine assez bien combien certaines conversations de cabinets pourraient etre amusantes à suivre
d’où le terme, dérivé de nos jours » il me fait chier » cité en public…..
J’adore ce texte. Hyper frais et à la fois très intéressant.
Je me souviens, par exemple, que petite, j’aimais laisser la porte ouverte quand je discutais avec ma cousine (nous vivions ensemble) pour ne pas perdre une miette de notre conversation. C’était réciproque, bien sûr et je me souviens que j’adorais ces moments-là. Être intime avec elle au point de pouvoir faire nos petites affaires sous son nez de l’autre sans y prêter aucune attention…. hummmm, ça doit être ça le bonheur.
Vraiment, super billet du dimanche.
@boutfil: Tu coris que cela vient de la , tout pourrait donc s’expliquer
@Rachel arnaud: ben, oui, l’est pas mal mon texte. Frais, je ne sais pas mais rigolo:)
Moi j ai souvenir qu’en Chine, souvent les « cabinets » n’ont que de toutes petites séparations en particulier dans les usines ce qui permet aux gens de discuter entre eux tout en opérant,convivial quoi !
@marianne: sortant il y a peu du lieu en question, je me pris à m’imaginer a la cour discutaillant des affaires du monde avec Louis ou St Simon, et bien, ça ne le fait pas ! pas moyen
Que ces petites choses là ont bien changé, non ?
Je me souviens aussi, mon cher Corto, que dans les cabinets chinois, il n’y avait pas de papier mais un torchon servant à tout le monde.
Convivial, non ?
J’ai lu il y a quelques temps un texte fort intéressant d’un historien sur ce sujet. En quelques mots, c’était surtout français (de nombreux étrangers font part de leur étonnement) et l’apanage de la haute noblesse; et surtout le signe d’un profond mépris pour les autres : c’est-à-dire que ces seigneurs n’avaient que faire des réactions du public. Ainsi le roi pouvait ch… en public mais il eût été inconcevable qu’il vit un autre occupé à la même besogne.
C’est assis sur sa chaise percée,qu’Henri III,donna audience à Jacques Clément.
Une photo des latrines,dans la ville romaine d’Ephese.
http://lh3.ggpht.com/_Y2Hkv5TiVL8/Rzxl-I0CADI/AAAAAAAAAKc/3W_Crz_UeEc/s640/Turquie 068.jpg
Nous sommes devenus plus pudiques.
J’ai retrouvé le chapitre à lire en entier : http://books.google.fr/books?id=z0o77BrZYckC&lpg=PA1&dq=defecation XVII siècle&pg=PA193#v=onepage&q&f=false
Il est notamment dit « Comme cet épisode le donne à entendre, cet usage n’était pas seulement une singularité française, bien que les anglais l’aient nommé the French courtesy. Il s’agissait en fait d’une forme moderne d’affirmation de sa puissance, destinée à montrer à son hôte le peu de cas qu’on faisait de lui. »
@ Corto : Bien sûr, Cortio, que j’aime ce texte. Tu n’as qu’à aller sur mon blog (billet du 21 octobre : « Tu as écrit ces derniers temps ? » pour t’en persuader…
L’idée de Marianne est très bien : des brigades « pro-pisse », en somme… Qui sait si ça ne remonterait pas la cote de notre maire parisien… ? Peut-être faudrait-il des bénévoles ? Et puis son souvenir du torchon en Chine m’a fait exploser de rire.
@Rachel : J’aime ton souvenir.
Avec les très bonnes copines, aussi, on laisse la porte ouverte pour ne pas interrompre la conversation; les filles, elles aiment se parler tout le temps; et c’est pas un pipi ou même un caca vite faits qui va les arrêter. Mais on ne se le permet pas avec les copains. Même si on les connaît depuis des décades. « C’est un sexe très différent. » (J’adore cette expression découverte dans « Certains l’aiment chaud » il y a des siècles.
@ corto : je voulais écrire Cortino, comme j’aime le faire certaines fois. Parce que tu as l’âge d’être mon fils, comprends-tu. Là-dessus passe ton Noël le mieux possible. Car tout ce qu’on lui demande, c’est de passer, hein.
@ Nachu
J’ai été voir : il faut dire que c’est tout à fait charmant !
Pourquoi donc nous sommes-nous laissés influencer par une pudeur, somme toute ridicule, comparée à toute cette convivialité de cabinets dont nous avons été privés ?
A propos de ces commodités là, j’avais remarqué un usage déroutant pour nous autres petits occidentaux de la vieille Europe lors d’un voyage au Mexique : dans les chiottes publiques le papier toilette usagé ne se jette pas dans la cuvette mais dans une poubelle placée juste à coté et spécialement dédiée à cet effet. C’est assez étonnant. J’avais remarqué le même phénomène dans certains lieux publics au Brésil. Une manière détournée de rendre public cet acte naturel d’évacuation digestive !
@ Tambour Major
Peut-être est-ce pour ces pays de faire un recyclage de papier à forte valeur ajoutée ?
@ marianne et tambour major : Of course valeur ajoutée ! tu fais des toilettes sèches chez toi, tu utilises du papier recyclé et hop ! Tout au compost … Aïe! J’vais me faire traiter d’écolo là….
Je me permets d’attirer l’attention de tous sur le lien de Basho qui est une mine extraordinaire.
Mon cher Corto, vous pourriez aller y chercher des textes du dimanche pour le restant de votre vie : succès assuré !
@Basho: merci pour le lien. Que ne fallait-il donc pas faire pour affirme sa puissance. Certains feraient bien de relancer la mode.
@nachu: cette photo est assez connue e me rappelle les latrines communément construites à l’armée sur le terrain jusqu’a encore peu de temps. Le tout etant de ne pas etre de corvée !
@lika: oh ce Noel se passera bien et tout le monde repartira content heuresement bises
je vais aller voir ton 21 octobre
@tambour major: ca me rappelle à Djibouti ou discutant de ce genr de choses un autochtone me disait: vous les occidentaux, vous etes cradingues, vous faites ça chez vous, nous on fait cela dehors. C’est vrai la ville, ds certains quartiers empestait
Et il neige toujours, bloqué a nouveau, c’est beau, tout blanc
Et surtout, mon cher Corto, ne vous avisez pas d’aller soulager une petite envie sur la neige ! Parce que ces grandes trainées de pisse jaune sur la neige blanche comme on en voit quelquefois au tournant d’une piste de ski, c’est vraiment dégueulasse !
@marianne: m’enfin ? pourqui me prenez vous, j ai des latrines a la maison !
Si j’ai dit cela, mon cher Corto, c’est qu’imaginez-vous que je connais un monsieur, dont je préfère préserver l’anonymat, qui avait cinq latrines chez lui, mais dont le plaisir était de pisser dans la nature, donc dans son jardin.
Faut-il qu’il y en aient qui soient pervers ?
Quel idiot avec ses arguties de sodomites jésuites! avec son histoire de chiottes d’un blennorrhée édenté qui n’invente rien. La chaise percée date du 7e siècle bougre d’âne. Tes cabinets sont des « petites chambres » ou coins, on dits « lieux d’aisances ». C’est vieux comme le monde & pas du roi Puant n°14.