Le tyran n’aime jamais…
Posté par corto74 le 30 janvier 2011
… et jamais n’est aimé.
Certainement le tyran n’aime jamais et jamais n’est aimé. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne peut exister qu’entre gens de bien, elle naît d’une mutuelle estime, et s’entretient non tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité.
Il a, pour garants, son bon naturel, sa foi, sa constance; il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’entretiennent pas, mais s’entrecraignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.
Or, quand bien même cet empêchement n’existerait pas, il serait difficile de trouver en un tyran une amitié solide, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant point de pair, il se trouve déjà au-delà des bornes de l’amitié, dont le siège n’est que dans la plus parfaite équité, dont la marche est toujours égale et où rien ne cloche. Voilà pourquoi il y a bien, dit-on, une espèce de bonne foi parmi les voleurs lors du partage du butin, parce qu’ils sont tous pairs et compagnons, et s’ils ne s’aiment, du moins, ils se craignent entre eux et ne veulent pas, en se désunissant, amoindrir leur force.
Mais les favoris d’un tyran ne peuvent jamais se garantir de son oppression parce qu’ils lui ont eux-mêmes appris qu’il peut tout, qu’il n’y a, ni droit, ni devoir qui l’oblige, qu’il est habitué de n’avoir pour raison que sa volonté, qu’il n’a point d’égal et qu’il est maître de tous. N’est-il pas extrêmement déplorable que malgré tant d’exemples éclatants et un danger si réel, personne ne veuille profiter de ces tristes expériences et que tant de gens s’approchent encore si volontiers des tyrans et qu’il ne s’en trouve pas un qui ait le courage et la hardiesse de lui dire ce que dit (dans la fable) le renard au lion qui contrefaisait le malade : «J’irais bien te voir de bon cœur dans ta tanière; mais je vois assez de traces de bêtes qui vont en avant vers toi, mais de celles qui reviennent en arrière, je n’en vois pas une.»
Discours de la servitude volontaire. Etienne de la Boétie (1530-1563).
Le texte du dimanche (50)
D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr
Et à ce que disait Spinoza, mon cher Corto, « les pires tyrans sont ceux qui savent se faire aimer ».
@marianne: peut-il y avoir amour désinteressé vis à vis d’un tyran? …
Mais au regard de ce qui se passe en ce moment en Tunisie ou en Egypte, le texte intégral de la Boétie ( 30 minutes de lecture ), mis au « goût » du jour est d’une réalité surprenante
Heureuse que tu aies pensé à Etienne de la Boétie. J’ai lu ce livre il y a bien trente ans. Et ce fut une découverte ! Mais c’est un gros livre, et je me demande comment tu n’as pris que trente minutes pour le lire ! ? ! Tu m’intrigues ! Je dois l’avoir encore, ce livre. Demain je vais aller y remettre mon nez – un des avantages de ton blog…
Le jeune Shakespeare a peut-être pu le lire aussi ? De toute façon, les chroniques « historiques » qu’il avait avalées ont dû suffire à son génie… Car déjà dans Richard II et Richard III, les régicides et autres assassinats se succèdent à une vitesse vertigineuse, les tyrans trouvant toujours des naïfs pour imaginer qu’ils seront épargnés.
C’est vrai qu’il y a bien des peuples, mon cher Corto, qui sont tyrannisés par des dictateurs.
Mais croyez-vous que nous échappions nous-mêmes à la tyrannie, en Europe ?
Je n’en suis pas sûre, quand ont voit les désastres provoqués par une mondialisation sans limites, et un pouvoir financier qui met nos peuples à genoux. Quand, par-dessus le marché, on organise des référendum dont on ne tient aucun compte du résultat, on peut se demander si la tyrannie sans visage à laquelle nous sommes soumis, n’est pas, en un certain sens, pire que celles auxquelles sont soumises la Tunisie et l’Egypte, qui sont en train de secouer le joug ?
Alors que nous, malgré toute la bonne volonté de Sarkozy qui, au G20, voudrait que soit instauré un « nouvel ordre monétaire » ainsi qu’une régulation du marché des matières premières, on nous annonce déjà, qu’en réalité, il ne se passera rien !
@lika: les 2 textes identiques que j ai trouvé portant le titre de Discours de la servitude volontaires ne sont pas bien longs: 1 préface, 16 petits chapitres et une conclusion. L’un est en lien sur le mot « discours » dans mon billet. A moins que ce ne soit des résumés ? je ne sais. peut etre pourras tu me dire.
@marianne: feriez vous partie de ce courant de pensée qui émet l’idée que, en Occident, la démocratie serait en péril par l’émergence de nouveaux tyrans ( mondialisation, politiquement correct, financiarisation sauvage, dérégulation, censure …)
Je ne sais pas, mon cher Corto, si je fais partie d’un « courant de pensée », en tous les cas cette pensée devient de plus en plus la mienne.
@Marianne,
C’est aussi mon sentiment.Le « tyran » est lointain, n’a pas de forme, pas d’identité, mais les effets
sont bien réels. Moi, j’appelle ça le mondialisme. C’est une idéologie qui nous laisse impuissants.
Nous devenons à notre corps défendant les citoyens formatés de la planète « monde », et la première
étape, c’est cette Europe qu’il nous faut intégrer de force.
L’ énigme de l’ amour et l’énigme de l’ amitié mettent à mal votre thèse Corto.
L’ histoire a démontré que certains tyrans ont su se faire aimer, mieux adorer, de leurs amis victimes d’une fascination de leur maître à penser, parfois jusque dans la mort.Je signale l’ idolâterie de Joseph Goebbels vis-à-vis de Hitler, de Saint-juste vis à vis de Robespierre.
@ Mischka
Là, je dois dire que vous avez réussi à me faire froid dans le dos !
@yvette: cette mondialisation n’estelle pas inévitable ?
@mischka: Bienvenue ici! Cette théorie n’est pas la mienne mais celle de La Boetie a laquelle je souscris. Certains tyrans ont su se faire aimer dites vous ! Non, ils ont eu à leurs pieds des êtres aveuglés, fascinés, Ce qui a mon sens n’a rien a voir avec de l’amour ou de l’amitié, juste du fanatisme aliénant toute personnalité à celle du tyran « adoré »
@ Corto,
Je n’ai pas parlé de mondialisation, mais de mondialisme. La mondialisation est un processus qui
va de pair avec le progrès des techniques, le mondialisme est une idéologie.
@yvette: tu peux développer , cela m’interesse
@Corto,
Je vais devoir vous faire un cours d’histoire, et ici en quelques phrases, ce n’est pas facile.
Je vous renvoie donc à la lecture du » Nouvel Ordre Mondial » de Pierre hillard qui explique
ce qu’est le mondialisme. De mémoire, il fait remonter ce courant de pensée à la signature
du traité de Versailles. Après la deuxième guerre mondiale, le courant se structure et prend forme
avec les traités Européens. I
@ Corto : Tout à fait d’accord avec ce que tu dis à Mischka. Idolâtrie et fascination n’ont rien à voir avec l’amour et l’amitié.
Pas eu le temps de regarder dans ma bibliothèque, pour le livre de Etienne de la Boétie. Ttà l’heure j’ai ma leçon de piano, et ne veux pas me montrer décevante… Mais je te dirai.
@ Yvette Strauss : D’accord aussi pour la différence que tu établis entre mondialisation et mondialisme. Avons-nous une parade contre le mondialisme ?
Corto,
Je n’avais pas terminé. Ce qui me paraît très significatif dans cette Europe, c’est la montée en
puissance des régionalismes, et j’ai mis pas mal de temps à comprendre, qu’elles sont utiles au
court-circuitage des états, et j’irai jusqu’à dire à la destruction des états. Voilà rapidement
à quoi j’associe la mondialisation. Ce n’est pas un processus, mais la mise en place délibérée
d’une politique avec des objectifs à atteindre.
@Corto,
Quand je vois les résultats des G20, je suis plutôt pessimiste pour la parade, et qu’on se contente
de beaux discours non suivis d’effets. Sarkozy ne peut tout de même pas avouer son impuissance,
c’est son avenir qui est en jeu.
Merci pour la bienvenue Corto.
« Si l’on me demande avec insistance de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » écrivait Montaigne au sujet de son amitié avec Etienne de la Boétie.L’ engagement amoureux ou amicale possède une une part d’ inexplicable.
Je persiste à penser que l’ aveuglement et la fascination figurent parmi les ingrédients de la passion amoureuse ou amicale.Ces deux caractéristiques ont abondamment été décrites par les grands auteurs de la littérature ( Flaubert,Stendhal,Proust,…).
Enfin,j’ estime que le charisme de certains tyrans est tel qu’ il leur a été très possible d’ inspirer des sentiments amoureux ou d’ amitié profonds et véritables.Le cas d’ Eva Braun est exemplaire à ce titre: cette dernière n’ était pas le moindre du monde une fanatique nazi mais une femme amoureuse qui ira jusqu’ à se marier avec Hitler et se suicider avec lui dans le Bunker.
Je ne fais aucunement l’ apologie des tyrans mais je constate que certains êtres ( noirs ou de lumière )possèdent une » équation personnelle », un magnétisme tels qu’ ils suscitent l’ amour et l’ amitié de certains de leurs proches au-delà de leurs actions bonnes ou mauvaises.C’ est comme çà.
@yvette: la montée des régionalismes n’est-elle pas une réaction anti-mondialiste? Un refus de ce que les états acceptent en s’intégrant plsu encore dans ce meme mondialisme ?
@mischka: permets donc a nouveau de ne pas etre d’accord. Que le charisme de certains créent amour et fascination, les 2 étant intimement liés, ok, mais non pas de l’amitié.
@ Corto,
La charte européenne de la démocratie régionale qui promeutl’émancipation politico-financière
des régions aux dépens de l’état favorise la mondialisation en contournant l’autorité nationale
pour traiter directement avec Bruxelles et ses lobbies. A la base, c’est une réaction des peuples,
mais une réaction qui sert ce qu’elle voulait combattre.
C’est étrange de se retrouver à nouveau débat idéologique en partant d’un texte sur les tyrans.
Je recentre. Peut-on être l’ami d’un tyran, heu oui, l’amour est aveugle !
@ Yvette
Euh ! Je dirais que, parfois, l’amour a peut-être besoin d’être aveugle pour survivre.
Corto, je reviens me promener dans ton jardin…
1) Je n’ai PAS retrouvé mon livre de La Boétie ! Je SAIS où il était placé depuis si longtemps, je revois les caractères d’imprimerie désuets, la couverture « beigeasse »…. Mais RIEN. Ce sont ces moments-là que je choisis pour faire le GRAND ménage !
2) Je propose à Mishka de lire « L’amour est un crime parfait » (de Bernard Lalie, je crois Coll. Connaissance de l’inconscient). Ce n’est pas un gros livre, lui (et justement il a disparu, lui aussi !). Je pense aussi au film magnifique d’Otto Preminger : « L’homme au bras d’or », avec Frank Sinatra, Kim Novak et Eleonor Parker : où on comprend si profondément qu’il y a amour et amour…
3)Dans ta parenthèse à Marianne le 31 janvier à 01.08, tu n’as pas mentionné un vieux tyran : la maffia. Bon Week-end, Corto.
@lika: Curieux ces livres qui disparaissent, moi, j’en prête en sachant pertinemment qu une fois sur 2 ce sont des prêts très très longue durée
Sinon, le texte intégral sur le mot discours dans mon billet mais c’est loin d’en faire un bouquin
bon week end !