Les qualités d’un prince
Posté par corto74 le 6 février 2011
« Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités (…), il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées.
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence : car les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain.
Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Le petit nombre n’est écouté que lorsque le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement. »
Machiavel, Le Prince (1513), chapitre 18, » Comment les princes doivent tenir leur parole. »
Le texte du dimanche (51)
D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr
J’entends d’ici, mon cher Corto, les récriminations des à voiles et des à vapeurs !
Et pourtant Machiavel a mille fois raison.
Un homme politique n’est pas un religieux qui n’est responsable que de lui-même devant Dieu.
L’homme politique est obligé d’être pragmatique, et aujourd’hui c’est ce qu’on lui conteste.
Tiens hier aussi, Juppé disait : « La pureté c’est bien, l’absolue pureté c’est un totalitarisme ».
@marianne: c’est-y qu’il est parlant ce texte , non ? 1513, pourtant et toujours d’actualité. Pas grand chose a jeter et j’aime particulièrement ce passage « Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement »
Sauf que, mon cher Corto, « le vulgaire » en 1513, ne représentait pas la même chose qu’aujourd’hui, je crois.
A l’époque, le vulgaire c’était celui qui n’était pas de noble extraction. Tandis qu’aujourd’hui on entendrait plutôt « trivial » quand on parle de quelqu’un de vulgaire.
Je me suis laissée dire, qu’encore aujourd’hui, tous les politiques font de Machiavel une espèce de livre de chevet.
@marianne: possible , mais moi je trouve que cela va comme un gant à l’époque que nous vivons. Ca marche aussi si l’on associe vulgaire à trivial .
Qu’ils en fassent un livre de chevet possible mais je parie ma chemise que le Sarko ne l’a pas lu. Il est naturellement un prince (tel que décrit)
Mais bien sûr qu’il l’a lu !
Vous ne vous rendez pas compte à quel point, et de tout temps cela a été une mine, pour les politiques, mon cher Corto !
Je doute que nos dirigeants l’aient lu et je m’empresse d’ajouter que je le regrette infiniment. Je suis en désaccord complet avec vous, Corto, quand vous dites que Sarkozy est naturellement un prince tel que décrit par Machiavel. Vous imaginez un prince à la façon de Machiavel dilapider des sommes considérables pour récupérer une connasse à demi française qui s’est faite prendre en otage et donner en public à la télévision du « Monsieur » à petit chefaillon dans la jungle colombienne dans l’espoir d’obtenir sa libération ? Hélas, Sarkozy est une assistante sociale, comme tous nos dirigeants depuis Giscard, ce qui n’a rien à voir avec un homme d’État et qui est même le contraire. Cela dit, là où je suis tout à fait d’accord avec vous, c’est quand vous dites que ce livre est toujours d’actualité. Il n’a que les niais pour s’imaginer que les choses ont changé, au motif peut-être que nous sommes entrés dans l’ère de la démocratie.
@ Philippe Lemoine
Et si ce dont vous parlez « pour récupérer une connasse à demi française » correspondait à la phrase du texte : « et savoir au besoin montrer des qualités opposées » ?
Car je vous rappelle qu’à cette époque tous les media étaient en ébullition, et Ingrid Bétancourt avait son portrait géant au fronton de la mairie de Paris !
Marianne,
Que Sarkozy ait lu ou non » Le Prince » n’ pas grande importance. J’ai moi, le souvenir d’un homme d’état, qui au cours d’une conversation avec un philosophe a dit : « Le connais-toi toi même « de socrate,
j’ai jamais rien lu d’aussi stupide. (Je cite de mémoire). Là, j’ai été sidérée.
@ Yvette
Il faudra bien que les Français finissent par comprendre que leur classe politique leur ressemble comme deux gouttes d’eau !
61% des Français voudraient aujourd’hui que Nicolas Hulot se présente à la présidentielle !
Croyez-vous qu’il se soit beaucoup appesanti sur la lecture de Platon ?
@philippe lemoine: quand je faisais allusion ironiquement a sarko c’était par rapport a la phrase: « Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ». Et question flexibilité, on est servi avec lui. Toujours dans la réaction plutot que dans l’action.
Enfin que ce soit Sarko ou d’autres, tu semble avoir beaucoup de haine pour les dirigeants occidentaux..
@marianne: qd vs dites que la classe politique ressmble aux français, d’accord et pas d’accord. Ce qui est sûr c’est qu’on a les hommes politiques que l’on mérite.
Que de bons souvenirs de cours de philo, je crois même avoir eu une interro sur ce passage, qui reste très vrai et très bon !
@vallenain: tu riogoles, j’apprecie aujourd’hui celui qui me faisait passablement braire ds ces cours de philo !
J’avais adoré le pragmatisme de Hoederer dans « Les mains sales » – la seule pièce de Sartre que j’ai aimée – et aime encore.
Corto > il me paraît difficile de ne pas éprouver de la haine pour des gens qui, par un mélange de bêtise et de lâcheté, sont en train de détruire une civilisation pluriséculaire. Mais à vrai dire ils m’inspirent plus de mépris que de haine, même si je vous accorde qu’ils m’inspirent beaucoup de mépris…