Que je me perde en toi

Posté par corto74 le 13 mars 2011

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« Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes112155 dans zOne Dimanche cuLture !
solitaire comme une veine de métal pur;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m’enserre et se fait pierre.

Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur;
mais si c’est là ta nuit, qu’elle me soit pesante,
qu’elle m’écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri.

Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,
pente sans refuge, sommet sans nom,
neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
où l’âme de la terre s’exhale en odeurs de fleurs.

Me suis-je enfin perdu en toi,
uni au basalte comme un métal inconnu?
Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
et partout je me heurte à ta dureté.

Ou bien est-ce l’angoisse qui m’étreint,
l’angoisse profonde des trop grandes villes,
où tu m’as enfoncé jusqu’au cou?

Ah, si seulement un homme pouvait dire
toute leur insanité et toute leur horreur,
aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
et les chasserais devant toi comme de la poussière_

Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;
et ma bouche, comme une blessure,
ne demande qu’à se fermer,
et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
qui restent sourds à tout appel.

Et pourtant, une fois, tu me feras parler.

Que je sois le veilleur de tous tes horizonsfriedrich
Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
d’embrasser soudain l’étendue des mers.
Fais que je suive la marche des fleuves
afin qu’au delà des rumeurs de leurs rives
j’entende monter la voix silencieuse de la nuit.

Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
où d’âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
comme dans un linceul, des vies qui n’ont pas vécu

Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;
la panique des incendies couve dans leur sein
et elles n’ont pas de pardon à attendre
et leur temps leur est compté.

Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d’eux n’a vu la pauvre grimace
qui s’est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d’un peuple plein de foi.

Ils vont au hasard, avilis par l’effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s’usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.

La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu’ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n’ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.

Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux
en attendant leur admission avec angoisse.

La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas.

O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l’amour et la misère.

Car nous ne sommes que l’écorce, que la feuille,
mais le fruit qui est au centre de tout
c’est la grande mort que chacun porte en soi.

C’est pour elle que les jeunes filles s’épanouissent,
et que les enfants rêvent d’être des hommes
et que les adolescents font des femmes leurs confidentes
d’une angoisse que personne d’autres n’accueille.
C’est pour elle que toutes les choses subsistent éternellement
même si le temps a effacé le souvenir,
et quiconque dans sa vie s’efforce de créer,van_gogh_cafe
enclôt ce fruit d’un univers
qui tour à tour le gèle et le réchauffe.

Dans ce fruit peut entrer toute la chaleur
des coeurs et l’éclat blanc des pensées;
mais des anges sont venus comme une nuée d’oiseaux
et tous les fruits étaient encore verts.

Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes
qui, même aveugles, achèvent leur propre mort.

Oh, donne nous la force et la science
de lier notre vie en espalier
et le printemps autour d’elle commencera de bonne heure.»

Le livre de la Pauvreté et de la Mort (1902),  Rainer Maria Rilke (1875-1926)

Le texte du dimanche(55)

D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr

10 Réponses à “Que je me perde en toi”

  1. Marianne ARNAUD dit :

    Voilà, mon cher Corto, qui nous force à penser à tous ces morts du Japon, perdus dans un abîme illimité, puisqu’on ne les retrouvera plus.
    C’est un poème très beau et très profond.

  2. corto74 dit :

    @marianne: C’est du Rilke ! Decouvert sur le tard mais avec quel plaisir.
    Et effectivement les évènements au japon ne sont pas tout a fait etranger a ce choix.

  3. Didier dit :

    Ben en voilà un gai-luron! :D

    J’avoue ne pas trop voir le rapport entre ce poème et les tristes événements japonais mais bon… Je ne sais pas quel âge avait ce monsieur quand il a écrit ça mais je pense que cela exprime plus un mal-être « adulescent » qu’autre chose.

  4. corto74 dit :

    @didier: certes ce n ‘est pas le plus fun de ces poèmes mais je le trouve superbe.

  5. Marianne ARNAUD dit :

    en revanche, mon cher Corto, mon dernier commentaire sur « Sarkozy le seul recours…. » était beaucoup plus fun, mais j’ai l’impression que vous ne l’avez même pas vu !

  6. LiKa dit :

    « Solitaire comme une veine de métal pur »… : dès de deuxième vers, je fronce les sourcils… Monsieur Rilke ne se prenait pas pour une merde, mine de rien… Je l’avais vénéré en ma jeunesse… Moins, maintenant. Mais j’ai lu des « poèmes » bien plus mauvais, chez d’autres, qui se disent poètes : raison pour laquelle tant de gens (dont moi) se désintéressent de la poésie…
    Cher Corto, c’est la première depuis plus d’une semaine, que je viens passer quelques instants sur mon ordi. Et je n’irai pas butiner ailleurs. Pas envie. Ce qui se passe en Tunisie, au Japon me dégoûte du verbe. Voilà. Bises à toi.

  7. corto74 dit :

    @lika: tu me vois ravi de te voir ici pour ta première promenade sur leweb depuis 1 semaine. J’étais assez etonné d’ailleurs de ne point de voir plus souvent ici et de ne pas te voir alimenter ton blog. Au moins me voici rassuré !
    Bon, c’est vrai que l’actu n’est pas des plus ensoleillée mais de la a se laisser aller, c’est pas ton style! bisous

  8. LiKa dit :

    J’ai une copine qui m’a dit la semaine dernière : « Tu ne dois pas t’écouter ». – Ah, que je lui fais, alors je dois écouter qui ? »
    En fait, je passe beaucoup de temps au piano. Si seulement, au temps de ma jeunesse j’avais travaillé autant… La jeunesse, ce sont vraiment des bottes de sept lieues… Mais tant de jeunes gens se font tuer, en ce moment/ Oui, ça me plombe un peu de ne pas savoir que faire. Même pour être kamikaze il f

  9. LiKa dit :

    kesski s’est passé ? Je disais : il faut être entraîné…

  10. corto74 dit :

    @lika: clair que la situation n ‘est pas géniale. Que faire ? je ne sais pas, pas grand chose, en parler , compatir et vivre.
    Vois tu j ai eu mon lot d’emmerdes comme beaucoup alors j ai pris le parti de tout relativiser. Etre en colère souvent mais pas me mettre la rate au cours bouillon. S’estimer heureux de ce que l’on a , c’est déjà pas mal Bisous

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