Marie-Claude Lorne est morte
Posté par corto74 le 12 avril 2011
L’Université est une chance. Saisissons-la.
Je ne connaissais pas Marie-Claude Lorne, et sans doute vous non plus.
Elle est morte en 2008, mais je n’ai appris son décès qu’hier en lisant L’Express de la semaine dernière.
Elle avait trente-neuf ans. Elle était maître de conférences à l’université de Brest.
Elle faisait partie du département de philosophie, composé de cinq enseignants-chercheurs.
L’usage universitaire veut qu’au bout d’un an, un maître de conférences élu dans une université soit automatiquement titularisé.
Oui mais voilà, à Brest, Pascal David, le président chargé de prononcer les titularisations a « une hantise », les profs qui regroupent leurs cours sur deux journées pour rejoindre leur domicile à Paris, où ils peuvent, le reste de la semaine, enchaîner colloques et publications. Autant dire que cela ne concerne que les plus brillants d’entre eux, dont faisait partie Marie-Claude Lorne.
Il convenait donc de lui adresser un « coup de semonce ». Et c’est ainsi que le 13 juin 2008, avec une commission réduite à deux membres – les huit autres étant absents – Pascal David obtient « à l’unanimité » le refus de la titularisation de Marie-Claude Lorne, au motif qu’elle ne réside pas sur place, alors que tout semble indiquer que cet argument serait « mal fondé en droit ».
Entre juin et septembre, Pascal David croise Marie-Claude à Brest mais « n’ose pas » lui parler.
Elle ignore donc tout de sa situation jusqu’à ce 22 septembre 2008, pratiquement à la veille de la rentrée, où elle reçoit une lettre administrative sans la moindre formule de politesse lui notifiant que sa titularisation est refusée.
Elle rédige alors une lettre d’adieu et dans un post-scriptum écrit :
Me jeter dans la Seine dûment lestée et entravée (passerelle Simone de Beauvoir si tout va bien).
C’est le 3 octobre 2008 qu’on retrouvera son corps.
Or voici ce qu’écrivait Françoise Longy, citée par Bernard Dugué sur Agora Vox le 29 octobre 2008 :
Marie-Claude était une combattante, sa vie avait été assez difficile, mais elle s’était acharnée pour atteindre son but, avoir les moyens de poursuivre la vie théorique qu’elle aimait et pour laquelle elle était faite.
Bernard Dugué poursuivait :
Pourquoi cette philosophe a-t-elle dû trouver sa planche de salut dans un lieu qui devait lui être fatal ? Une planche pourrie en fait…
Son suicide va sans doute plus loin que ne le pensent ceux qui souhaitent ne pas faire de vague et minimiser cette affaire. Car c’est du suicide de l’Université dont il est question…
Il est très dommage que ni l’Université, ni madame Pécresse, son ministre de tutelle, n’aient cru devoir communiquer sur ce qu’elles ont sans doute considéré comme un incident regrettable.
Dans le cas contraire le citoyen-contribuable aurait pu apprendre que si toutes les histoires ne se terminent pas aussi tragiquement, il n’en reste pas moins que comme l’écrivait encore Bernard Dugué :
Ce système universitaire est devenu malade. Le mal est ancré depuis vingt ans. Au lieu de soutenir les chercheurs atypiques, ceux qui ont un avenir, il les enfonce, les nivelle, les lamine. Parfois en tolérant de la part de ses responsables une sorte de sadisme pas si éloigné du harcèlement moral. Selon mon informateur, jeune universitaire de 30 ans, les notables du savoir craignent l’arrivée d’une génération de jeunes chercheurs très brillants qui pourraient leur faire de l’ombre. Du coup, les cerveaux se tirent à l’étranger et les restants galèrent et se sclérosent lentement.
Madame Pécresse a attendu deux ans avant d’ordonner une enquête administrative sur le décès de Marie-Claude Lorne. Il aura fallu six mois de plus pour que le rapport arrive sur son bureau. C’est ce qui nous a valu cet article dans L’Express.
A tous les proches et amis de Marie-Claude Lorne, j’adresse mes sentiments de profonde sympathie.
Marianne A., Dans le sac de Marianne (36)
D’accord, pas d’accord: atoilhonneur@voila.fr
Marianne, fidèle de ce blog nous livre sa version des faits, sa vision du biniou et du monde. Chaque mardi, elle vide son sac !
(photo: passerelle Simone de Beauvoir, Paris)
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